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La dualité égyptienne

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La dualité égyptienne Empty La dualité égyptienne

Message par ddchampo Mar 22 Oct - 11:44

La dualité : clef essentielle du système de pensée égyptien

Nom féminin. Caractère de ce qui est double en soi ; coexistence de deux éléments différents.
- Dualité de l'homme. Dualité de l'âme et du corps
- Symbole très fort qui définit la conscience profonde de l'Égypte pharaonique.

Haute et Basse Égypte, rive orientale et rive occidentale, vallée fertile et désert aride, ordre et chaos, jour et nuit, vie et mort, corps et âme…
La dualité, la symétrie, les paires contraires ou complémentaires forment un concept dans lequel la civilisation semble baigner en permanence.
Cette perception dualiste du monde a bien évidemment une influence sur la conception même de la monarchie et du rôle du souverain  dans l'exercice du pouvoir : il est celui qui doit maintemir l'équilibre.
Celui-ci est régi par la loi de Maât, cette déesse fille de Rê qui exprime l'ordre juste entre les choses, condition nécessaire à la paix et à l'harmonie.
Cet « ordre juste » place les dieux dans le Ciel, les hommes sur Terre et Pharaon entre les deux.
Cet ordre établi n'est pas contestable et est le garant de la stabilité des institutions politiques de l'Égypte pharaonique.

Clef essentielle du système de pensée égyptien

Le concept de dualités ou de paires (complémentaires ou contraires) revêtait une grande importance dans la religion de l'Égypte ancienne.
L'ordre et le chaos, par exemple était une notion fortement ancrée chez les Égyptiens, inspirée sans doute par la topographie de la région où ils vivaient : un paysage doux aux berges fertiles, bordé par un vaste désert, sauvage et inhospitalier.
Le mythe rappelait cette dualité : au tout début de la création, « l'un » avait émergé des eaux du Noun avant que « deux choses existent » (Textes des sarcophages). Par la suite, chaque chose créée était contrebalancée par son contraire sans lequel elle n'aurait pu exister.
Ainsi, l'univers se trouvait en état de parfait équilibre, la déesse Maât ayant la charge de maintenir cette symétrie cosmique.

Retenues depuis le temps de la création par la déesse du ciel Nout, les eaux primordiales avaient d'abord été le lieu de naissance de la vie.
Le monde était en effet sorti de la profondeur des eaux du Noun.
Ce scénario se répétait à chaque fois que les eaux de la crue se retiraient et que la terre apparaissait à nouveau, couverte d'une nouvelle couche fertile de limon noir. Kemet, ainsi que les Égyptiens appelaient leur pays, signifiait la « Terre noire ».
Kemet, territoire d'ordre et de civilisation, était gouverné par le roi, incarnation d'Horus (Herour, Horou).
Ceci en opposition à desheret, la « Terre rouge », le désert aride et stérile, livré à Seth (Soutekh, Setekh), incarnation du chaos.
Mais à chaque fois qu'ils se réjouissaient de voir les eaux fertilisantes inonder leur pays, les Égyptiens savaient pertinemment que si ces mêmes eaux montaient trop haut, elles occasionneraient malheur et destruction.

Toute chose importante dans l'univers avait sa contrepartie.
La vie et la mort étaient deux aspects d'un même état, le défunt passait simplement de la vie à une autre vie qui n'était qu'une continuation de celle qu'il avait vécue sur terre.

La vie et la mort étaient comparables au jour et à la nuit dont la parfaite alternance était là pour rappeler aux Égyptiens la manière dont les dieux gouvernaient leur univers.
Les maîtres du temps étaient Rê (Râ, Râou), le dieu-soleil, et Osiris (Ousir, Iousiris) qui régnait dans le monde inférieur.
Le dieu-soleil était le seigneur du jour et, selon les Textes des Sarcophages, « il avait créé la nuit pour Celui dont le cœur est fatigué [Osiris] » .

Le rapprochement que l'on faisait entre la vie et le jour, la mort et la nuit, trouvait son parallèle dans le mythe du dieu-soleil dont le parcours à travers le jour et la nuit pouvait se comparer au voyage de l'homme à travers la vie et la mort.
Le soleil naissait chaque matin, vieillissait à mesure que la journée passait et se couchait chaque soir pour rejoindre le monde inférieur, celui d'Osiris.
Il disparaissait alors dans les ténèbres qui évoquaient à la fois la nuit et le royaume de la mort.
À l'aube, il réapparaissait et cette renaissance quotidienne confortait l'idée qu'à chaque mort succédait une autre vie.
Dans les profondeurs du monde inférieur, le dieu-soleil et Osiris s'unissaient pour devenir une divinité duelle.
Cet aspect des choses s'exprime ainsi dans le Livre des Morts : « Osiris est hier et Rê est demain ».

Les dieux étaient censés mener une vie semblable à celle des hommes.
Seule la notion du temps était différente.
Une heure dans le monde inférieur, par exemple, équivalait à l'espace d'une vie humaine sur terre.
L'intervention des dieux sur le monde des hommes était essentielle au maintien de Maât, mais elle s'effectuait sur une base réciproque : les dieux intervenaient au bénéfice des hommes à condition que ceux-ci leur présentent constamment des offrandes.
L'intermédiaire entre le monde des humains et le monde des dieux était le roi, dont la personne présentait aussi en elle-même une dualité.
Fils de mortels, il (ou quelquefois elle) était aussi fils des dieux et leur vicaire sur terre.
Dans ce rôle il était considéré comme l'incarnation d'Horus, le fils d'Osiris, mais on l'honorait également en tant que fils d'Amon (Imen), de Geb (Keb, Seb), de Ptah (Pteh), d'Isis (Aset, Iset), d'Hathor (Hout-Hor) et d'autres dieux.

Chaque roi défunt était identifié à Osiris, dont le meurtre avait constitué la première disparition sur terre.
Ainsi avait débuté le cycle de la vie et de la mort.
C'était aussi la première fois que le chaos - sous la forme du turbulent dieu Seth - se manifestait dans un monde ordonné. Il fallait donc ne pas oublier que là où régnait l'harmonie, menaçait toujours le désordre.

Tout est binaire

La symétrie régit aussi l'art égyptien.
Reflétant la caractéristique logique de la pensée égyptienne, elle s'exprime par l'antithèse dualiste
dualiste : adjectif et nom. Qui relève d'un système de pensée dualiste ; partisan du dualisme.

Dual, e, aux Adjectif, du latin dualis, de deux.
1. Didact. Qui comporte deux unités, deux éléments, souvent en relation d'interaction ou de réciprocité.
2. Technique. Se dit d'une recherche, d'une technologie susceptible d'avoir des applications aussi bien civiles que militaires.

Dualiser (se) Verbe pronominal, de dual.
Se scinder en deux parties antagonistes, en parlant d'un groupe, d'une institution.
La société se dualise du fait des inégalités.

Dualisme Nom masculin, du latin dualis, de deux.
1. Système de pensée religieuse ou philosophique (comme l'Égypte pharaonique) qui admet deux principes irréductibles, opposés dès l'origine (par opposition à monisme [*]).
[*]monisme Nom masculin, du grec monos, seul.
Philosophie. Doctrine selon laquelle tout ce qui est se ramène, sous les apparences de la multiplicité, à une seule réalité fondamentale (par opposition à dualisme, à pluralisme).

1. Duel Nom masculin, du latin duellum, ancienne forme de bellum, guerre.
-a. Combat singulier entre deux personnes, dont l'une exige de l'autre la réparation par les armes d'une offense, d'un affront.
Se battre en duel. ¤ Histoire. Duel judiciaire : combat entre un accusateur et un accusé, admis au Moyen Âge comme preuve juridique.
-b. Figuré. Compétition, lutte serrée entre deux individus, deux groupes antagonistes. Duel oratoire.

2. Duel Nom masculin, (du latin duo, deux).
Linguistique. Catégorie du nombre, distincte du singulier et du pluriel, et qui indique deux personnes ou deux choses, dans la conjugaison ou la déclinaison de certaines langues.

3. Duel, elle Adjectif. Didactique. Relatif à la dualité.
Une société duelle, telle que l'Égypte ancienne., où l'entier se représente en deux éléments mutuellement complémentaires mais nettement distincts.

Le pays lui-même se compose de deux “arcs” géographiquement distincts, la Haute-Égypte (Ta-Shema) et Basse-Égypte (Ta-Mehu).

Le paysage impose le contraste entre désert et culture, jaune et vert, ou rouge (sable stérile) et noir (sol fertile).

Autre symbole de dualité, le Nil (iterou) coupe effectivement le pays en deux, Est et Ouest : l'Est étant le pays des vivants et le lieu de la résurrection (soleil levant) ; l'Ouest étant le royaume des morts (soleil couchant).

À partir de la IIIe dynastie, les rois se font enterrer dans la nécropole de Saqqarah près de Memphis, en Basse-Égypte.
Mais, pour respecter la dualité du pays, ils érigent un cénotaphe (tombeau factice) en Haute-Égypte.

L'accouplement des dieux et des déesses illustre souvent la dualité de la vie, les forces négatives et positives du cosmos.
Horus représente l'ordre et la vie alors que Seth représente le désordre et la destruction.
Ouadjet (Ouadjyt) -cobra- est la déesse tutélaire de la Basse-Égypte et Nekhbet -vautour- celle de la Haute-Égypte.
La liste est longue : Isis et Nephthys, Hâpy du Nord et Hâpy du Sud…

Le long axe principal du temple égyptien facilite la représentation esthétique de la dualité : de part et d'autre d'un portail ou sur les murs opposés d'une salle.

Lors du couronnement de Pharaon, il est expressément fait référence à l'union du Sud et du Nord.
La couronne royale en est l'illustration.
Le pschent (sekhemty en égyptien) est formé par la combinaison de la couronne blanche du Sud, le hedjet, longue mitre oblongue et de celle du Nord, le deshret, casque rouge au sommet aplati.

Au cours des cérémonies officielles, le roi rassemble sur sa poitrine une crosse et un fléau, symboles de ses deux pouvoirs « temporel » et « spirituel », qui sont également des images de la dualité de l'Égypte ancienne :
- Le sceptre heka (crosse) figure pharaon conduisant son peuple comme un pasteur.
- Le sceptre nekekh (fléau) est une arme symbolique de protection.

Statue de Khéphren
C'est sur le socle de cette statue que les « Neuf Arcs » sont représentés pour la première fois.
Notez également la représentation du Sema-Taouy sur le côté du trône. Musée égyptien du Caire .

Pharaon se définit également comme souverain du roseau (nysout), plante héraldique de la Basse-Égypte et de l'abeille (bity), emblème de la Haute-Égypte.
Lors du couronnement, deux prêtres lient le papyrus et le lotus, plantes symboliques des deux pays.

La dualité, c'est aussi la représentation du monde (les neufs arcs) créé par le démiurge.
Démiurge :  Entité créatrice (l'unique) issue du Noun (océan primordial), capable de résister au néant, qui vient à la vie en prenant conscience de son existence.
Il crée toutes choses par le verbe et la pensée.
Selon les théologies, il est Ptah, Rê-Atoum, Amon ou Thot à Hermopolis. .
Il a été représenté, pour la première fois, sur le socle de la statue du pharaon Khéphren (Khafrê) qui, en tant que souverain, est la personnification de l'Égypte.
Il foule à ses pieds neuf arcs, les ennemis de l'Égypte.
L'expression « neuf arcs » désigne donc la totalité des adversaires possibles de l'Égypte, les arcs symbolisant les ennemis représentés par leur arme de combat.
Le monde comprend donc l'Égypte et les autres, dans le sens de tout ce qui n'est pas Égyptien.
Nous avons donc d'un côté l'Égypte et de l'autre les pays étrangers.

Par sa position géographique, l'Égypte est bordée au sud par la Nubie (Ta-Seti), à l'ouest par la Libye et au nord & à l'est par le Proche-Orient.
L'Égypte est en contact avec les étrangers, représentés par des populations spécifiques, sur ses quatre points cardinaux.

Sema-Taouy ou le pouvoir de Maât

Terme symbolique évoquant l'intégrité de l'Égypte que l'on peut traduire par « Réunion des Deux Terres ».
Le roi pharaon doit maintenir l'ordre cosmique, c'est-à-dire la Maât, à la fois déesse et principe.
Il est le « roi de Haute et de Basse Égypte ».
Son pouvoir lui indique de maintenir l'union (sema) des deux terres (taouy - taou : terres et y : dualité).

Représentation symétrique du dieu androgyne Hâpy incarnant la crue du Nil.
Bourrelets de graisse et seins tombants symbolisent la générosité de la crue.
Hâpy du sud (à droite) et Hâpy du nord entrelacent les tiges des plantes emblématiques des deux Terres autrefois autonomes, le lotus (lis) pour la Haute-Égypte au sud et le papyrus pour la Basse-Égypte au nord, autour du hiéroglyphe sema représentant la trachée et les poumons.

Surmontée par le cartouche (la tête ?) du roi - ici Ramsès II - la trachée figure le Nil (artère vitale) et le poumon (réunir) permettent à l'Égypte de respirer, au travers de pharaon.

Attestée dès le début de l'Ancien Empire, cette représentation connaît plusieurs variantes, que l'on rencontre sur des supports les plus divers, dont celle figurant Horus et Seth, ce qui donne encore une autre portée à ce symbole en définissant l'équilibre comme l'union des forces contraires.

Le sema-taouy est très souvent figuré, en relief ou en peinture, sur les côtés des trônes royaux, comme à Abou Simbel.
Parfois ce thème est repris avec les dieux Horus et Seth, ce qui donne encore une autre portée à ce symbole en définissant l'équilibre comme l'union des forces contraires.

La dualité et l'union en images

La dualité, charnière de la psychologie des Égyptiens, se retrouve dans les mythes fondateurs (a) : le pays fertile, Kemet - « La Noire », est gouvernée par Osiris et le désert Desheret - « La Rouge », par son frère Seth.
Osiris est infiniment bon tandis que Seth est horriblement mauvais. Le monde terrestre est également perçu dans sa globalité comme d'un côté l'Égypte et de l'autre tous les pays étrangers.

Pharaon est aussi l'expression de la dualité.
Il est à la fois humain et divin.
Il porte la double couronne, il porte une crosse et un fléau, symboles du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel.


Dernière édition par ddchampo le Mer 23 Oct - 11:17, édité 3 fois
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Message par ddchampo Mar 22 Oct - 12:10

https://www.pourlascience.fr/sd/archeologie/le-temps-double-de-legypte-ancienne-6198.php

Le temps double de l'Égypte ancienne

Pour les anciens Égyptiens, le temps n'était pas un flux s'écoulant en permanence en direction de l'avenir, mais l'union de deux aspects complémentaires : Djet, la durée éternelle, et Neheh, le temps cyclique.

À la fin du Ve siècle avant notre ère, Héraclite écrit : À ceux qui descendent dans les mêmes fleuves surviennent toujours d'autres et d'autres eaux.
Que signifie cette métaphore ?
Que demain, aujourd'hui sera déjà du passé.
Que le temps naît du caractère passager de toute chose.
Que, parce que tout phénomène semble avoir une cause passée, et que, parce que nous nous souvenons du passé et non du futur, nous divisons le temps en passé, présent et avenir.
Cette trilogie est inscrite dans la structure de la plupart des langues indo-européennes.
Elle nous paraît naturelle ; nous la croyons universelle.
L'est-elle vraiment ?

L'Égypte ancienne fournit un exemple de culture qui avait une tout autre notion du temps : une notion double alliant le passager et le durable.
À la trilogie passé-présent-avenir des cultures indo-européennes répond en effet, chez les anciens Égyptiens, la dualité de Djet et de Neheh.
Ces termes ne désignent pas des phases résultant l'une de l'autre, mais des aspects qui doivent être joints pour décrire complètement le temps.
Ces aspects se rapportent à tout processus temporel, qui peut être soit « accompli » (perfectif), soit « inaccompli » (imperfectif).

Djet correspond à l'aspect perfectif du temps, c'est-à-dire à l'indéfectible durée de ce qui est parfait.
Quand le dieu de la Bible est ainsi loué : "car mille ans sont à tes yeux, comme le jour qui est passé hier […]", nous lisons dans deux hymnes égyptiens : La Djet est devant tes yeux (Amon) comme le jour qui est passé hier.

De son côté, Neheh correspond à l'aspect imperfectif du temps, au mouvement cyclique jamais achevé, au retour incessant des jours, mois, années et autres cycles plus longs, tel celui du décalage entre le calendrier égyptien et le calendrier solaire, qui ne s'annule que tous les 1 460 ans (période de Sothis).
La trilogie passé-présent-futur nous semble d'autant plus naturelle qu'elle est inscrite dans les temps de nos verbes.
Toutefois, la dualité des aspects « évolution (déroulement) » et « perfection (achèvement) » est naturelle aussi.

La valeur qu'accordaient les locuteurs des anciennes langues égyptiennes aux aspects perfectifs et imperfectifs était aussi inscrite dans leurs systèmes verbaux.
Quand il leur fallait exprimer quelque chose au passé, au présent ou au futur, les anciens Égyptiens se servaient de paraphrases.
Il existait ainsi un verbe signifiant « avoir fait quelque chose dans le passé ».
Le futur s'exprimait à l'aide de la préposition « vers, en direction de » : « je viendrai » se disait ainsi « je suis en direction de venir ».
Pour saisir les concepts égyptiens, il est intéressant de prendre en compte l'étymologie des mots et surtout leur étymographie (l'origine de leur graphie).

S'agissant de Neheh, cette approche est informative.
La racine principale du mot est hh et caractérise des concepts tels que « chercher », « envahir » et « millions ».
À première vue, ils n'ont pas grand-chose à voir entre eux et rien avec le temps, mais l'idée d'infini et d'imprévisible colle à chacun d'eux.
De cette racine sont aussi issus les mots égyptiens houh et haouhet, qui désignent le chaos, l'interminable « pas encore temps ».
La réplication dans ces mots du h et le préfixe h- (comme dans h-aouet) suggère un mouvement interne cyclique se répétant sans cesse.

Neheh s'écrivait en outre avec le soleil pour déterminatif.
Les déterminatifs sont des signes sans valeur phonétique qui indiquent non pas une prononciation, mais l'appartenance à une classe de sens.
Or le déterminatif « soleil » se retrouve sur presque tous les termes temporels de l'Égypte ancienne, tels « heure », « jour », « saison », « année », « demain », « hier » : il se rapporte à la classe sémantique du « temps », ou plus exactement au temps mobile Neheh.
Et quel autre déterminatif que le soleil, qui se lève et se couche tous les jours, serait mieux à même d'exprimer cette nuance ?


Le dieu-soleil, associé à Neheh

Le temps cyclique se manifestait aux yeux des Égyptiens quotidiennement et partout, dans les fluctuations du niveau du Nil, dans les migrations saisonnières des oiseaux, dans le cycle de la naissance et de la vie, dans la maturation et le vieillissement des hommes, dans la course des étoiles, les phases croissantes et décroissantes de la Lune, les enterrements et les avènements des rois.
Bref, tout ce qui entourait l'Égyptien ancien, ainsi que les rythmes biologiques marquant son existence, manifestaient le travail de Neheh.

Par opposition, le mot Djet recevait un tout autre déterminatif : il représentait la Terre et le sol, l'archétype de ce qui est solide et durable.
Djet représentait donc un temps contenant l'accompli et le parfait.
Les deux notions se complétaient pour former un concept global de temps ou d'éternité, ce qui s'exprimait aussi dans les genres des deux mots : tandis que Neheh, le temps mouvementé, est masculin, Djet, le temps de la durée, est féminin.


Neheh et Djet, piliers du ciel

Neheh et Djet soulèvent le ciel haut au-dessus de la Terre, ce qui signifie que le temps a créé l'espace.
Cela seulement rend possible le voyage de Rê, qui traverse le ciel sous la forme du Soleil et, chose intéressante dans cet hymne, également sous la forme de la Lune. C'est ainsi que sont apparus les jours, les mois, les saisons, les années, et que le temps est devenu mesurable.
Le mot égyptien pour année signifie « ce qui se rajeunit », d'où le fait que le temps Neheh est rajeuni quand il lance une nouvelle année, dont le début était marqué par la crue du Nil.
La séparation du ciel et de la Terre imposait aussi une distance entre les humains et les dieux.
Cette distance obligeait à construire des temples, à créer des représentations des dieux, à développer des rites et à faire des sacrifices, afin de ne pas rompre le lien avec les dieux.
D'où le rappel aux rites dans la dernière strophe de l'hymne.
Par ailleurs, les aspects cosmiques de Djet se traduisaient aussi chez les hommes : des monuments de pierre en matérialisaient la durée immuable.
Cet hymne nous fait pénétrer dans la notion de temps des Égyptiens anciens, plus précisément dans leurs conceptions religieuses.

Neheh, le temps cyclique, était le temps du dieu solaire.
Ce temps était associé au devenir, dont le hiéroglyphe était un scarabée, symbole central de la théologie égyptienne.
Ce n'était pas l'être, mais le devenir qui se trouvait au centre de la pensée.
Neheh était de ce fait aussi le temps du culte.

Bien que le rite serve en premier lieu à la construction et à l'entretien du temps Neheh, chaque culte avait la forme d'un calendrier ritualisé.
En Égypte, des spécialistes observaient le ciel, mais pas, comme en Mésopotamie, pour y découvrir des phénomènes singuliers interprétés comme des signes annonçant le futur, que l'on pouvait ainsi penser maîtriser ; cette attention au cosmos ne portait pas sur les exceptions, mais sur les phénomènes réguliers.
C'est dans la régularité de processus cycliques que se manifestait à l'Égyptien le caractère divin du cosmos.
Les calendriers solaire ou lunaire étaient avant tout des instruments servant à mettre le temps en ordre et à le maintenir en marche par le rite.
Un bel exemple de cette mentalité est le rituel des heures, une célébration de la course solaire pratiquée dans tous les temples égyptiens dédiés au Soleil.
Il s'agissait par là de soutenir le combat ininterrompu de Rê contre Apopis, person­nification du désordre, de l'évolution du monde vers l'immobilité et la désintégration, un combat auquel participaient tous les dieux. Sans cet effort pensait-on, le Soleil n'aurait pu avancer.

Autre exemple de cette mentalité : les Égyptiens utilisaient des calendriers de jours fastes et de jours néfastes (« hé­mérologies »), où chaque jour de l'année était relié à un événement mythique et recevait l'une des trois qualifications : favorable, neutre ou défavorable.
Ces calendriers n'étaient cependant pas adaptés aux événements imprévus et uniques, donc à ce que nous décririons comme l'Histoire.
Ne passait pour significatif et, pour cette raison, marqué de déterminatif, que ce qui se répétait.
Ce qui en revanche sortait du cadre, et qui dans d'autres cultures serait passé pour un présage, n'avait aucune signification aux yeux des Égyptiens.
Le temps calendaire n'était donc nullement un tonneau vide, dans lequel coulaient sans fin les événements, mais plutôt un programme débordant de sens, que l'on interprétait par des rites, afin d'éviter de précipiter les événements.
C'est aussi pourquoi on cherche – mais en vain – dans les textes égyptiens de grandes rétrospectives.
Les scribes, qui n'y plaçaient que des événements, accordaient autant d'importance à la célébration d'une fête qu'à l'érection d'un bâtiment ou à une victoire sur l'ennemi.
Tout s'écrivait sous la forme d'un calendrier, auquel le temps conférait un rythme et une continuité, calendrier qui maintenait un ordre et donnait un cadre au sein duquel on pouvait s'orienter et s'identifier.

Une cosmologie connue sous le nom de Livre de la déesse du ciel Nout décrit le lever du soleil de la façon suivante : "Il [le dieu solaire] est apparu comme il est apparu la première fois dans la terre de la première fois".
C'est pourquoi la disparition de Rê derrière l'horizon à la fin de son cycle quotidien ne signifiait pas la fin du monde, mais son entrée dans la Terre dont il était sorti, et donc seulement l'accomplissement d'un cycle, qui ne pouvait que signifier le commencement prochain d'un nouveau cycle.
Ce processus formait en quelque sorte l'histoire sacrée égyptienne, le dessein divin, le salut égyptien.

C'est pourquoi l'accomplissement des rites et la formation rituelle du temps étaient si essentiels : le monde humain était aussi censé se renouveler sans cesse dans ses déroulements étatiques, sociaux et personnels, afin de revenir à l'état idéal de la « première fois ».
C'est dans le mystère du coucher et lever quotidiens du soleil que s'enracinaient toutes les espérances relatives à l'au-delà et à l'immortalité.
En effet, grâce au temps cyclique, l'être humain pouvait espérer un renouvellement : le coucher du soleil et la fin de la vie se correspondaient.
Dans la conception égyptienne, réussir signifiait donc non pas un progrès, mais un retour au début, à la première fois, aux modèles du passé, à la norme des ancêtres.


De Djet à l'empire des morts

Quant à Djet, le complément de Neheh, son sens culturel est clairement lié à l'érection de monuments en pierre.
Aujourd'hui encore, le visiteur des pyramides ou des temples des morts sur la rive gauche du Nil, à Louxor, n'est pas sans ressentir, malgré l'agitation touristique qui l'entoure, une impression d'éternité.
Avec Djet, nous quittons l'empire de Rê et entrons dans celui d'Osiris, dieu des morts, qui est lui-même un mort, et en tant que tel persiste à exister dans une perfection immuable.
C'est ce qu'exprime son surnom Ounen-Néfer « celui qui existe dans la perfection ».
Comme le temps Neheh était lié au dieu solaire et au devenir, le temps de Djet l'était à Osiris et à l'être.

Le temps de Djet était aussi celui de la récompense morale et de la responsabilité.
Il était fondé sur une structure morale, qui reposait sur la conviction que chaque être humain doit rendre des comptes pour ce qu'il a ou n'a pas fait.
Le temps apparaît là comme un rapport entre action et conséquence, qui selon la conception égyptienne était garanti par la Ma'at, un concept ajoutant les notions de vérité, de justice et d'ordre.
Les humains devaient réaliser la Ma'at par leur façon de diriger leurs vies, et cela en pensant les uns aux autres et en agissant les uns pour les autres.

La Ma'at était le concept central de l'éthique coopérative.
Si chacun pense aux autres, par exemple en étant hospitalier, en respectant ses devoirs, en agissant pour les autres, alors le bien est récompensé, tandis que le mal est puni ; le rapport entre l'acte et ses conséquences est établi.
Ce rapport n'est pas automatique comme une loi naturelle, mais il agit dans le cadre du souvenir et de l'attention, de nos pensées et actions pour les autres. L'existence d'un sens du monde était donc une question d'attention, et celle de l'absurdité du monde une affaire d'oubli.
Nous pouvons donc parler de « temps du souvenir », s'agissant de la dimension morale du temps en Égypte ancienne.

Qui agissait de façon morale restait pour toujours dans le souvenir de la postérité.
Seul le juste pouvait prétendre à l'immortalité.
Les Égyptiens croyaient qu'après la mort, ils devraient rendre des comptes à Osiris et à un tribunal des morts pour la façon dont ils avaient mené leurs vies.
Pendant qu'ils assuraient avoir vécu selon la Ma'at (selon la vérité, la justice et l'ordre) et ne pas avoir commis une longue liste de péchés, leur cœur était placé sur une balance.
Chaque mensonge le rendait plus lourd, et quand le plateau de la balance était trop lourd, un monstre l'avalait.
Celui dont le cœur était sans péchés, Osiris le prenait en son empire, et par là dans le temps éternel.

Perfection et éternité n'étaient donc pas seulement une question de pierre et de monuments, mais aussi et surtout d'accomplissement moral.
Pour durer dans l'espace du temps de Djet, trois choses étaient nécessaires : la « vertu », c'est-à-dire l'accomplissement moral, l'écriture, afin de pouvoir la rapporter, et un monument de pierre pour porter les inscriptions correspondantes, de façon à perpétuer le souvenir de la vertu.
C'est pourquoi les tombeaux monumentaux des Égyptiens ne sont pas seulement un moyen de se souvenir, mais aussi une institution morale.
Toutefois, le caractère particulier de la construction égyptienne du temps ne tenait pas tant à la différenciation de ses deux dimensions qu'à la façon dont elles étaient liées : c'est ensemble que Neheh et Djet formaient le temps.
Beaucoup de représentations du dieu solaire le montrent en train de traverser le ciel pendant le jour et en train d'éclairer Osiris dans le monde souterrain pendant la nuit.
Cette union nocturne de Rê et d'Osiris correspond au lien entre Neheh et Djet.

Dans la tombe de la reine Néfertari (la principale épouse de Ramsès II, vers le XIIIe siècle avant notre ère) se trouve la représentation d'une momie à tête de bélier, un disque solaire sur la tête, qui est par ailleurs flanquée et protégée par les déesses Isis et Nephthys.
Les inscriptions placées sur les côtés expliquent : « Voici Rê, qui repose en Osiris, voici Osiris, qui repose en Rê. »
Dans la mythologie égyptienne, c'est à minuit que les représentants du temps cosmique, éternellement cyclique, entraient en contact avec la perfection immuable.
La tête de bélier se rapporte à la forme prise par le dieu solaire la nuit et la momie à Osiris.
Les déesses Isis et Nephthys se rapportent aussi à Osiris qu'elles protègent.


Neheh le jour, Djet la nuit

Le temps se trouve aussi être représenté au XVIIe chapitre du Livre des morts.
Deux lions tournés vers l'extérieur flanquent le hiéroglyphe du mot Achet, qui désigne un endroit entre deux montagnes où le Soleil apparaît et disparaît (représentation difficile à comprendre, puisque les horizons Est et Ouest y sont fusionnés).
À côté du lion gauche se trouve l'inscription « le jour de demain », tandis que l'inscription « le jour d'hier » est à côté du lion droit.
On lit dans le texte situé sous la représentation :
"Je suis le hier, je connais le demain.
Que signifie cela ?
En ce qui concerne le hier : c'est Osiris.
En ce qui concerne le demain : c'est Rê."

Dans le même texte figure aussi :
"Quant à Neheh, c'est le jour. Quant à Djet, c'est la nuit."
Les deux lions, qui flanquent le lever de soleil et qui représentent aussi demain et hier, ou le jour et la nuit, et symbolisent donc Neheh et Djet, représentent aussi l'unité du temps, qui rassemble ces deux aspects.

En plus du cosmos, l'être humain existait dans les deux aspects aussi.
En construisant des monuments, les humains aspiraient au temps Djet, et, au cours des rites, dont le déroulement immuable re­présentait le retour éternel des cycles cosmiques dans les actions humaines, ils s'appropriaient une partie de Neheh.
C'est pourquoi, pendant le rituel de l'embaumement, le prêtre prononçait les mots évoquant le Ba, sorte de composante mobile de l'être humain qui le quittait et lui revenait régulièrement :
"Que ton Ba existe, en ce qu'il vive dans Neheh,
Comme Orion dans le corps de la déesse du ciel ;
En ce que ton cadavre dure dans Djet
Comme la pierre de la montagne."

Ainsi, après sa mort, un Égyptien désirait se fondre dans le temps cosmique en ses deux aspects : le temps du ciel, cyclique, et celui de la Terre, immuable.
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